mercredi 3 août 2016

Il y a ceux qui détiennent la vérité... et ceux qui la vivent (2) Le biais d'échantillonnage (chez les décisionnaires)

Dans le dernier article, nous parlions de subjectivité, due à ce que j’appelai le "prisme des présupposés". Ce prisme des présupposés est à la base de beaucoup de raisonnements plus ou moins volontairement biaisés, que ce soit en politique ou dans la vie de tous les jours.
Et on peut y ajouter les raisonnements à sens uniques:
Par exemple, attribuer un salaire plus faible aux femmes est du sexisme. Le congé paternité d'une semaine aussi.
Un night-club réservé aux blancs est du racisme. Un night-club réservé aux africains aussi.*

Enfin bref, il y a du boulot.

Une technique souvent utilisée pour parer à ces biais cognitifs, c'est la confrontation, et la discussion de groupe. Après, si on est beaucoup à confronter nos idées, et qu'on finit par tomber plus ou moins d'accord, c'est que le raisonnement est logique, les arguments valables, et donc on a plus de chances d'avoir raison.

Ou d'etre nombreux à se tromper!

En effet, la question est: ou vais-je trouver mes contradicteurs? Il faut qu'ils acceptent de discuter avec moi de façon à peu près constructive, donc qu'on puisse s'asseoir à la même table, parler la même langue, et avoir un intérêt commun à ce débat.
Et il est rare qu'ils soient payés pour débattre, donc il faut qu'ils acceptent ma présence, qui'ils soient intéressés, que nos niveaux soient compatibles pour qu'aucun ne se trouve en position de professeur face à un éléve...

En gros, je vais en général prendre mes contradicteurs dans mon environnement géographique, et dans ma sphère socio-culturelle. Donc des gens qui me ressemblent. Et ont des prismes et présupposés proches du mien. Notre vision de la réalité sera donc proche de ma vision de la réalité, nos prismes ne se corrigeront que peu.

Par exemple, prenons la question du porc servi dans les cantines. Pour être objectifs, on peut concevoir qu'il nous faudrait réunir une commission avec des professionnels de la question technique (comptable, juriste, etc...) et des conseillers "culturels" voire religieux. Seulement, il y a fort à parier que les votes n'iront pas dans le même sens dans une ville à forte communauté musulmane ou juive et dans une autre avec une communauté très réduite. Et la force d'affirmation sera très variable aussi: imaginez que vous soyez le seul à refuser de manger du porc au milieu de 80 personnes: vous ne renierez pas forcément vos convictions, mais vous percevrez votre cas comme une exception. Dans la situation inverse, c'est le mangeur de porc qui sera une exception. Et si on fait moitié/moitié, on est à l'équilibre, donc c'est bien? Sauf qu'on crée spontanément deux blocs, ne serait-ce que par regroupement à table.
Maintenant, réunissons cette commission. Quels sont les cas possibles?

1) On réunit un groupe parfait, c'est-à dire neutre et capable d'envisager la question sous tous ses aspects. Peu importent leurs prismes, ils en sont conscients et suffisamment équilibrés pour se contre-balancer. Dans ce cas on obtiendra une décision sur la question qui devrait correspondre au meilleur compromis (en tout cas intellectuel) entre la sensibilité des partis et la réalité socio-économique.

2) On réunit un groupe représentatif de la population concernée. C'est à dire que leurs prismes correspondent à peu près à ceux des gens qui vont subir leur décision. La décision prise ne sera peut-être pas la plus logique et ne correspondra pas forcément au meilleur compromis, mais devrait répondre aux besoins effectifs sur le terrain, possiblement au détriment d'une minorité.

3) On réunit un groupe non-représentatif de cette population, correspond à des présupposés issus de la minorité ou d'un autre environnement socio-culturel (par exemple d'une grande école de fonctionnaires): la décision prise correspond à leur propre vision des choses. Elle ne sera pas mauvaise par essence, mais ne correspondra pas à la réalité du terrain. Ce qui n'empêche pas qu'elle puisse fonctionner.

En résumé, une décision collective est un petit peu moins sujette à l'arbitraire qu'une décision individuelle, mais l'origine et l'environnement des décideurs la rend néanmoins sujette à caution.

* J'utilise ici volontairement des termes caricaturaux mais retrouvés couramment.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire