mardi 3 janvier 2017

Il y a ceux qui détiennent la vérité... et ceux qui la vivent (3) Les liens illusoires

Dans le domaine de la suggestion, de l'hypnose ou de la manipulation, il existe une façon simple de supporter un argumentaire qu'on ne peut justifier en lui donnant un caractère "logique": il s'agit de l'ensemble des liens illusoires, ou l'art de répondre à coté de la plaque:

(1) L'argument d'autorité
Cette figure sera sans doute celle qui fera le plus débat parmi les auteurs, car elle est souvent décrite séparément. Néanmoins elle a toute sa place ici, par sa construction même:
se servir de "l'expertise" d'un personnage dans son domaine (ou de son autorité) pour valider ses affirmations dans un domaine totalement différent. Ainsi voit-on régulièrement des citations d'Einstein, Marie Curie... sur le sens de la vie, la famille, ou la philosophie.
Personne ne peut remettre en cause l'apport d'Einstein à son domaine. Néanmoins on ne peut affirmer qu'il ait plus raison ou une supérieure autorité morale que n'importe quel individu Lambda. Il suffit de regarder les écrits de Kant, pour le voir affirmer péremptoirement des "vérités scientifiques" sur la conscience animale qui sont non-seulement balayés par les neuro-sciences mais aussi simplement par le bon sens. Philosophe sans doute, mais pas biologiste.
Poussé à l’extrême, on aboutira même au fameux "j'suis intelligent, j'suis douanier" de Fernand Reynaud, qui a été réédité sur un ton plus dramatique par la députée Sylviane Bulteau dans ses saillies sur les internes en médecine (voir le résumé humoristique par Vie de Carabin)
En gros, souvenez-vous de Montaigne "sus le plus haut trône du monde ne sommes assis que sus notre cul": quelque soit votre savoir dans une discipline précise, vous n'en avez pour autant pas plus d'autorité dans tous les domaines qui ne s'y rapportent pas.

(2) La superstition
Bon, encore une fois, on est dans un sujet qui peut être contesté, parceque ce n'est théoriquement pas une technique, mais de toute façon nous parlons de biais cognitifs, pas uniquement de manipulation.
Je vais prendre un exemple personnel: le chat noir.
Historiquement, le chat noir est un "porte-poisse" parceque la nuit on ne voit que ses yeux, donc il s'agit d'une incarnation diabolique, d'une sorcière, etc." Mais bon, aucune importance.
Il y a quelques jours j'ai eu un accident de voiture, même si je m'en suis sorti pratiquement indemne, c'était un vrai, un de ceux ou vous ressortez de votre voiture au prix d'un certain nombre d'acrobaties, dans l'odeur pyrotechnique des airbags et des prétensionneurs de ceinture, et où en quelques instants vous passez d'un véhicule quasi-neuf à une épave à recycler. quelques heures avant, j'avais croisé un chat noir.
Je pourrais faire le lien avec ce chat noir. Après tout ils portent malheur. Donc j'ai croisé un porte-malheur puissant, et j'ai eu un accident grave. Voilà un lien évident, non?
Bien sûr, ce lien est d'autant plus évident que je laisse volontairement de coté le retard que j'avais, l'énervement à avoir été coincé près d'une heure derrière un véhicule encombrant qui roulait au pas, la circulation de nuit et la plaque de verglas sur laquelle j'ai dérapé.
La superstition, qu'il s'agisse des porte-bonheurs ou porte-malheurs, est aussi à rapprocher du biais de confirmation, qui consiste à rechercher la confirmation d'une théorie préalablement établie, et non à la réfuter ainsi que la logique nous l'apprend.

(3) Le sophisme
Le sophisme est un raisonnement inspiré du syllogisme, figure de démonstration liant ensemble deux propriétés de façon à ce que si deux sujets partagent la première ils partagent la seconde, mais en inversant la cause et la conséquence.
Cette figure à été décrite un nombre incalculable de fois, la plus célèbre liant la mortalité de Socrate à sa nature féline. Il est je pense inutile de la redétailler ici. Mais pour ceux qui veulent la redécouvrir, je vous invite à lire l'article concerné
(4) Le déplacement de cause (ou de conséquence)
Établir un lien de causalité est une tâche indispensable à tout raisonnement prédictif. Pour l'animal sauvage, comprendre les règles du monde qui l'entoure est une question de survie. Ainsi, nous sommes conditionnés pour instinctivement associer des éléments statistiquement concomitants. C'est le principe même du dressage, où une ordre est associé à une action et à une récompense, mais aussi du conditionnement de Pavlov où un stimulus est associé à un événement futur ou simultané. Néanmoins cette association n'est qu'instinctive, et tolère mal les situations multifactorielles. De plus, l'état émotionnel a tendance a amener une focalisation irrationnelle de l'individu sur les événements perçus comme injustes ou au contrairement émotionnellement satisfaisants. Ainsi de deux événements concomitants, le plus marquant sera celui qui sera enregistré et considéré comme cause ou conséquence principale (et en général unique) des conséquences perçues. Mais cet élément peut aussi être utilisé sciemment dans une dialectique biaisée, de manière à transformer l'argumentaire adverse et à déplacer le point de réflexion. Couramment utilisée en politique, cette technique consiste à affirmer à son contradicteur qu'il est contre les points positifs de la mesure défendue, ou contre les points "neutres", plutôt que de répondre à son argumentaire qui pointe ce qu'il considère comme des faiblesses ou des dispositions injustes de la mesure. Par exemple:
  • Diminution du temps de travail financée par le budget de la sécurité sociale: 
    • Mais Madame la ministre, vous ne pouvez pas utiliser l'argent de la sécurité sociale, nous en avons besoin pour financer la dépense de santé des français. 
    • Comment? Vous êtes contre l’allègement des conditions de travail et vous n'êtes pas d'accord pour que les mères de famille puissent passer leur mercredi après-midi avec leurs enfants?
  • Plafonnement des honoraires médicaux et reduction du budget des hopitaux
    • Madame la ministre, nos infrastructures nous coûtent cher et nous travaillons déjà de nombreuses heures. Baisser nos tarifs revient à limiter nos salaires, ce qui est injuste car vous n'imposeriez cela à aucune autre profession, et limiter notre capacité à investir, ce qui nous empêchera à l'avenir de proposer les dernières technologies.
    • Pensez-vous qu'il est normal que le patient ait un reste à charge? Que des familles n'arrivent pas à se soigner?
Mais ce biais pose des problèmes en psychologie et psychiatrie, notamment aux perfectionnistes, qui finissent par se désespérer d'être des incapables: incapables d'atteindre le degré de perfection qu'ils se fixent, lequel est bien au-delà de ce qui est acceptable voire possible. La conclusion du perfectionniste est que son incapacité à atteindre son but vient d'un manquement de sa part et non d'une attente irréaliste, ce qui conduit à un complexe d'infériorité de sa part et souvent à la dépression. Il est aussi à l'origine du syndrome de Stockholm, du moins en partie, en expliquant la fascination de l'otage qui considère que son tortionnaire le sauve en ne le tuant pas, mais en oubliant qu'il est celui à l'origine du danger dont il le "sauve".

En thérapie, le lien illusoire utilise une suggestion quelconque pour faire associer au patient une action physique (mouvement automatique ou volontaire) à une étape thérapeutique. C'est la base de  certaines techniques d'approfondissement en hypnose ou d'induction en autohypnose, et des tâches thérapeutiques apparemment "farfelues" en Thérapies Cognitivo Comportementales, où l'accomplissement de la tâche symbolise la volonté du patient d'accomplir le changement qu'il veut opérer en lui, ce qui dans certains cas (arrêt du tabac, de l'alcool, d'autres drogues...) transforme une action passive (ne pas...) en action active.

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